BlogConformitéObligation de vigilance : évaluation du risque financier pour le donneur d’ordre en cas de manquement

Obligation de vigilance : évaluation du risque financier pour le donneur d’ordre en cas de manquement

Cet article est à mettre en perspective avec l’article « Retour sur l’obligation de vigilance : Que disent la loi et la jurisprudence ? » publié le 24 février 2021 sur notre site.

Pour rappel, lorsqu’un contrat de sous-traitance est conclu pour un montant au moins égal à 5.000€ hors taxe, l’obligation de vigilance impose à l’entreprise donneuse d’ordre de vérifier que son cocontractant s’acquitte des formalités légales obligatoires (déclarations sociales et fiscales, déclarations d’activités, déclarations des salariés travaillant pour lui ainsi que toutes les obligations légales afférentes à son activité telles que la délivrance d’un bulletin de paie, les déclarations de salaire et cotisations sociales etc.).

Schéma des documents légaux à collecter par les entreprises donneuses d’ordres dans le cadre de l’obligation de vigilance

Quid en cas de manquement ?

Si le cocontractant fait l’objet d’un procès-verbal d’infraction, l’entreprise donneuse d’ordre engage sa responsabilité financière solidaire au titre des sommes dues par son cocontractant (article L. 8222-2 du Code du travail).

Outre cette solidarité financière, l’entreprise donneuse d’ordre peut être condamnée au paiement d’une amende administrative dont le montant est au maximum égal à 4.000 € par salarié concerné par l’infraction et porté à 8.000 € s’il y a réitération de l’infraction dans un délai d’un an à compter de la notification de la première amende (le total de l’amende étant cependant plafonné au total à 500.000 €).

Bien que le montant des amendes encourues soit fixé par des textes, il est important de comprendre comment le risque de se voir infliger une amende se déclenche et comment le montant de l’amende est déterminé.

Le seuil de 5.000 € hors taxes est il un seuil de déclenchement automatique de l‘amende?

Les entreprises peuvent être tentées de ne pas respecter leur obligation de vigilance pour les contrats de sous-traitance dont le montant est légèrement supérieur à 5.000 € HT, en espérant pouvoir compter sur une certaine flexibilité de l’administration.

Il s’agit là d’une grave erreur.

Les jurisprudences rendues en la matière démontrent que l’administration et les magistrats sont inflexibles quant à l’application du Décret n° 2015-364 du 30 mars 2015 puisque les magistrats :

  • sanctionnent automatiquement l’entreprise donneuse d’ordre qui a manqué à son obligation de vigilance et ce dès que le montant de 5.000 € HT est franchi (le fait que le montant de la prestation soit de 5.001 € ou 100.000 € est donc indifférent pour tenter de s’exonérer),
  • s’évertuent également à contrôler que le donneur d’ordre fournit exactement les documents énumérés par la loi. Ainsi tenter de démontrer qu’on a respecté son obligation de vigilance en versant d’autres documents que ceux listés par les textes est insuffisant (et ce même si ces autres documents attestent indirectement du respect de l’obligation de vigilance)

 (CA Paris, Pôle 6 – Chambre 13, 19 juin 2020, n°16/06330)

  • ne sont pas davantage indulgents envers les contrevenants qui font valoir que l’URSSAF a fait preuve de « tolérance » à leur égard par le passé et qui pensent que cette même indulgence peut être attendue des Tribunaux.

 (CA Rennes, 28 février 2012, n°10/06775)

En synthèse, les juges tendent à contraindre les entreprises donneuses d’ordre à s’assurer que leurs co-contractants respectent leurs obligations en les incitant au besoin à adresser des injonctions de se conformer à leurs obligations, voire à suspendre la prestation de service…

En tout état de cause, faute de pouvoir compter sur une certaine flexibilité d’appréciation du seuil au-delà duquel le risque d’amende est encouru, les donneurs d’ordre peuvent se consoler quelque peu en adoptant un comportement qui peut influer sur le montant de l’amende qui va être mise à leur charge.

Une amende fixée au cas par cas :

Dans un arrêt du 21 Octobre 2021, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a rappelé que pour fixer le montant de l’amende, l’autorité administrative doit prendre en compte les circonstances du manquement, sa gravité, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et charges.

En appliquant ces principes directeurs, après avoir relevé :

  • l’absence de déclaration de 13 salariés détachés par une entreprise de sous-traitance allemande au sein d’une entreprise donneuse d’ordre en France,
  • l’absence de désignation d’un représentant en France,
  • l’absence de déclaration subsidiaire de l’entreprise donneur d’ordre.

La Cour Administrative d’Appel a condamné l’entreprise allemande à une amende de seulement 13.000 euros (13 salariés X 1.000 euros) soit seulement à la moitié du montant maximal de l’amende encourue et ce en raison de la collaboration active du contrevenant.

(CAA Bordeaux, 21 octobre 2021, n°19BX02810)

En synthèse, lorsqu’une infraction est constatée, le risque de se voir condamner au règlement d’une amende est quasi automatique, en revanche, le fait de collaborer avec l’administration et être réactif dans les réponses apportées à cette dernière est sans nul doute un préalable indispensable à ce que le juge soit plus clément.

A contrario, il semble inutile lorsqu’on est une entreprise étrangère, de solliciter la clémence des juges en indiquant ne pas être familiarisé avec la loi française, cet argument étant à chaque fois balayé par les juges qui considèrent qu’il appartient à l’entreprise étrangère de se renseigner sur les règles applicables en France. Il convient donc de bien choisir ses arguments.

Le donneur d’ordre encoure-t-il autant d’amendes qu’il y a d’infractions ?

Les donneurs d’ordre qui enfreignent plusieurs règles peuvent légitimement se demander s’ils encourent une amende par manquement. La réponse est non. Les magistrats considèrent actuellement que le manquement à l’obligation de vigilance justifie la condamnation au paiement d’une seule amende et ce même si le donneur d’ordre méconnait les différents volets de son obligation de vigilance (absence de recueil de l’attestation de vigilance + absence de communication des documents permettant d’identifier le prestataire, le lieu, et la date de la prestation)

 (CE, 11 février 2022, n°440808, CAA Lyon 5ème Ch. 30 janvier 2020 n°18LY02028)

La Haute Juridiction Administrative apporte une précision qui sonne comme une bonne nouvelle mais dès lors qu’il suffit d’une seule et unique infraction pour être condamné au paiement d’une amende, il est plus raisonnable de tenter d’être irréprochable sur la totalité des pans que revêt l’obligation de vigilance.

Textes de référence :

  • article L8221-1 du code du travail
  • article D.8222-5 du code du travail
Maryline Batiard

Avocate en droit social pro employeurs depuis 12 ans, je conseille mes clients en leur offrant toujours des solutions très opérationnelles. Le droit est mon outil de travail mais il m’est vite apparu que lorsque celui-ci est combiné à une approche concrète de la vie d’une entreprise, il devient un atout majeur dans la prise de décision permettant de mesure les risques ou de les diminuer. J’exerce au sein du Cabinet Rise-Up qui ne fait que du droit social et que j’ai co-fondé.

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